Comment l’épuisement professionnel a fait de moi une femme d’affaires

Il y a longtemps déjà que l’idée de ce texte me trotte en tête. Je n’avais encore jamais osé en parler publiquement. Le sujet est encore tabou. Surtout quand on fait partie du sujet. À l’occasion de la Semaine nationale de la santé mentale, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains et de braver les perceptions ou opinions défavorables pour vous faire voir l’épuisement professionnel d’un autre œil. Parce que sans vouloir banaliser la maladie, j’ai découvert que l’on pouvait s’en sortir grandi.

Mon histoire

Après 7 ans de bons et loyaux services auprès d’une entreprise que j’adorais, j’ai commencé à ressentir une certaine lassitude et une baisse de motivation au travail. Pourtant, j’avais un excellent patron, une équipe formidable et j’étais considérée comme un haut potentiel dans l’organisation. J’avais d’ailleurs gravi les échelons rapidement et toutes les portes m’étaient ouvertes. Bref, j’avais une carrière de rêve, de quoi aurais-je pu me plaindre? Peut-être était-ce le poids des 50 heures de travail par semaine qui commençait à me peser alors que cela ne m’avait jamais affectée? Difficile à dire, puisque je ressentais davantage une perte d’intérêt pour mon travail que de la fatigue, physique ou mentale. Il faut dire que de grands changements avaient alors lieu dans l’entreprise, que le centre décisionnel s’éloignait de plus en plus, de sorte que j’avais la perception de perdre liberté et autonomie dans l’exercice de mes fonctions, et que finalement, on m’imposait de plus en plus des décisions et des façons de faire avec lesquelles j’étais en profond désaccord.

Après réflexion, j’en ai simplement conclu que j’avais fait le tour du jardin et qu’un nouvel emploi me permettrait de retrouver le dynamisme et la vitalité qui me caractérisaient auparavant. J’ai donc accepté un nouveau défi chez l’un de mes clients qui m’a littéralement créé un poste. Consciente de cette marque de confiance incroyable et probablement atteinte d’un léger syndrome de performance, je dois avouer, j’ai rapidement fait ma marque chez mon nouvel employeur. J’ai su tisser des liens de confiance avec mon patron, mes collègues et principaux clients internes, j’atteignais mes objectifs, bref, je livrais la marchandise. J’avais enfin retrouvé ma motivation et je ne lésinais pas sur les heures!

J’avais la certitude d’aimer mon travail, malgré la guerre ouverte entre mon patron et mon principal client interne et le fait que je ne me sentais pas alignée quotidiennement sur mes valeurs personnelles. Malheureusement, la haute direction me semblait avoir bien peu de considération pour ses travailleurs. Je me suis réconfortée en me disant que j’étais là pour faire changer les choses.

Puis, un après-midi d’hiver, après avoir reçu la visite d’un gestionnaire dans mon bureau qui venait me dire qu’il n’avait toujours pas eu le temps de préparer un rapport que j’attendais depuis des semaines, j’ai craqué. Complètement. Cette seule petite frustration ce jour-là, m’a fait perdre tous mes moyens. J’ai fondu en larmes, seule, dans un profond désarroi, derrière ma porte close. D’un seul coup, j’ai senti une immense fatigue et un accablement m’envahir et que j’étais incapable de m’expliquer et encore moins de contrôler. Moi, Josée Marcotte, une gestionnaire professionnelle, compétente et très performante, ne pouvais concevoir une seule minute de ne plus être en maitrise de moi-même à ce point. Après plus d’une heure et demie à pleurer comme une Madeleine et à tenter de reprendre le dessus, j’ai finalement accepté de marcher sur mon orgueil et d’aller voir mon patron qui m’a dit d’aller me reposer chez moi.

Pendant les trois mois qui ont suivi, j’ai dormi entre 18 et 20h par jour. Je me sentais complètement vidée de mon énergie, comme si chacune des cellules de mon corps avait été asséchée jusqu’au noyau. Mon corps refusait de m’obéir, me forçant à rester roulée en boule au fond de mon lit des heures durant. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait et je l’acceptais encore moins. Le seul fait de me lever le matin pour faire déjeuner mes enfants avant le départ à la garderie et de me lever le soir pour les accueillir à leur arrivée relevait de l’exploit et m’obligeait à me recoucher, épuisée. La fatigue ressentie était telle, que même si je perdais du poids, j’avais l’impression de porter une tonne de briques sur mes épaules. Heureusement, je n’avais pas d’idées noires…mais j’ai souffert, physiquement et psychologiquement. Souffert de ne plus me reconnaître, souffert de ne plus être là pour mes enfants, souffert de culpabilité en voyant mon mari se démener avec nos trois mousses alors que j’étais incapable de fonctionner…

Peu à peu, mon médecin m’a donné des défis : me laver, m’habiller, prendre une marche, lire un livre, avoir des périodes d’éveil plus longues. Cela peut sembler insignifiant pour quiconque n’est pas passé par là, mais je sais que d’autres sauront reconnaître les efforts nécessaires pour accomplir de simples tâches pendant un épisode d’épuisement professionnel. Peu à peu, je me suis refait une santé. Je me suis remise à manger, à m’occuper de ma famille et à faire quelques tâches ménagères, dans les limites que me permettait mon corps. Et j’ai réfléchi. Beaucoup. J’ai réfléchi à ce qui m’avait mené à un tel état d’épuisement, aux signes que je n’avais pas su déceler, à la perception d’invincibilité qui s’est avérée plus que fausse… J’ai réfléchi à ce que je voulais et ne voulais plus et aux moyens à mettre en œuvre pour ne pas me retrouver dans la même situation.

Je suis donc revenue au travail après 3 mois d’absence et en remettant ma démission à mon patron dès mon retour. Je lui accordais 3 mois à 4 jours semaine afin qu’il puisse me remplacer. Tel un phénix qui renait de ses cendres, la femme d’affaires était née…

De l’épuisement à l’entrepreneuriat

Cet épisode de ma vie, aussi douloureux fut-il, m’a permis de faire une introspection intensive de laquelle j’ai pu faire des constats qui ont façonné la femme d’affaires que je suis devenue. Je dirais même que c’est précisément l’élément déclencheur qui m’a permis de véritablement découvrir ma mission de vie et m’a donné l’audace nécessaire au démarrage de mon entreprise, un projet que je caressais depuis plusieurs années sans jamais l’avoir tenté. Je vous partage aujourd’hui ces prises de conscience.

  • Il n’y a personne d’invincible ou de surhumain, même pas moi;
  • L’épuisement professionnel entraîne une incapacité profonde et réelle tant mentale que physique, ce dont je doutais avant de le vivre;
  • L’acceptation est le premier pas vers la guérison;
  • La liberté et l’intégrité sont pour moi des valeurs fondamentales : j’ai la ferme conviction que c’est l’incohérence entre ma vie professionnelle et mes valeurs qui m’a épuisé;
  • Je suis beaucoup plus forte depuis que je suis consciente de mes limites;
  • Constater ses limites n’est pas un signe de faiblesse, mais plutôt d’humilité et de sagesse;
  • J’ai appris plus sur moi en 3 mois, qu’en 30 ans;
  • L’épuisement professionnel m’a rendue plus résiliente et déterminée, ce qui sont des compétences essentielles en tant que femme entrepreneure;
  • L’accompagnement d’un être humain par un autre est un levier de transformation incroyable : merci Doc, j’en fais maintenant ma mission;
  • Il faut savoir s’écouter;
  • On n’a pas besoin de toucher le fond pour réaliser les 10 points précédents; j’ai ignoré, consciemment ou non, les signes avant-coureurs.

Ce que nous devrions retenir

L’épuisement professionnel est un fléau, qu’il ne faut pas minimiser, dont la responsabilité est partagée. Les individus se doivent d’être plus à l’écoute de ce que leur dit leur corps, leur cœur et leur intuition, car l’esprit peut avoir tendance à occulter une réalité difficile à accepter. Par ailleurs, les organisations doivent prendre conscience que leurs hauts potentiels sont aussi à risque d’un épuisement professionnel que les autres, sinon plus. En effet, des activités de prévention peuvent être menées pour éviter l’épuisement professionnel : des ateliers sur la connaissance de soi, de la sensibilisation par des ressources compétences sur la santé mentale au travail, une communication ouverte entre gestionnaire et employés et une saine gestion des attentes de l’organisation et des temps de repos chez les individus.

Malgré tout, l’épuisement professionnel peut être salutaire pour certains d’entre vous, comme cela l’a été pour moi. Cela m’a repoussé dans mes derniers retranchements, me forçant à me poser des questions auxquelles je ne m’étais jamais attardée. Je suis plus heureuse professionnellement que je ne l’ai jamais été et j’ai une vie personnelle épanouie. Loin de moi l’idée de vous dire qu’il s’agit d’un passage obligé pour faire tout ce cheminement, au contraire! Je vous encourage fortement à être à l’affut du moindre signe, à consulter et à vous faire accompagner. Je comprends parfaitement que chaque personne vit sa maladie de façon très personnelle et que certains ont des symptômes beaucoup plus sévères que ce que j’ai pu vivre.

Toutefois, je crois qu’il faut saisir les opportunités de développement même dans les périodes les plus sombres. Il ne s’agit pas de la fin, mais bien du commencement d’autre chose de plus grand.

À tous ceux qui se reconnaissent ou qui se sentent interpellés par mon histoire, n’hésitez pas à demander de l’aide. Il y a de l’espoir…